Réflexion sur les spécificités de la formation psychanalytique par rapport à l’enseignement académique
En cette rentrée j’ai trouvé qu’il était important de répondre à des questions qui me sont souvent posées par les candidats à la formation psychanalytique. Pourquoi la formation inclue la psychanalyse didactique ? Quelle est la différence avec les formations universitaires en psychanalyse ?Dans cette article je me propose de vous donner les clés pour comprendre la spécificité de la psychanalyse et le besoin qui en découle, pour être psychanalyste, d’une formation différente.
La psychanalyse occupe une position singulière dans le paysage des savoirs contemporains. Ni science exacte, ni simple technique thérapeutique, elle interroge constamment sa propre transmission. Cette question devient particulièrement vive lorsqu’il s’agit de distinguer la formation analytique dispensée dans les Écoles de psychanalyse de l’enseignement universitaire de la psychanalyse. Deux logiques qui révèlent des conceptions radicalement différentes du savoir et de sa transmission.
L’Université : le savoir constitué
L’enseignement universitaire de la psychanalyse s’inscrit dans une logique académique classique : transmission d’un corpus théorique stabilisé, évaluation par l’examen, progression linéaire des connaissances. L’étudiant y acquiert une culture psychanalytique, apprend l’histoire des concepts, maîtrise les débats théoriques. Cette approche, légitime dans son registre, traite la psychanalyse comme un objet d’étude parmi d’autres.
Mais cette logique universitaire rencontre rapidement ses limites face à la spécificité de l’objet psychanalytique. Comment enseigner l’inconscient comme on enseigne la sociologie ? Comment évaluer par QCM la appropriation de ce qui est le transfert ? L’Université, dans sa nécessaire objectivation du savoir, risque de manquer ce qui fait le cœur de la psychanalyse : l’expérience subjective de l’inconscient.
L’École : la transmission du désir
L’École de psychanalyse répond à une tout autre logique. Héritière de l’École freudienne et de la vision de Freud de ce qui est essentiel pour devenir un psychanalyste, elle postule qu’on ne peut transmettre la psychanalyse sans y être impliqué subjectivement. Ici, la formation ne se résume pas à l’acquisition de connaissances mais engage une transformation du sujet lui-même.
Cette formation passe par trois piliers indissociables : l’analyse personnelle et didactique, la formation théorique et les mises en situation clinique. Le futur analyste ne peut faire l’économie de son propre inconscient. Il ne s’agit plus seulement de savoir la psychanalyse, mais d’en faire l’épreuve subjective. Cette exigence éthique distingue radicalement la formation analytique de tout autre cursus.
Deux rapports au savoir
Ces deux approches révèlent des conceptions différentes du savoir. L’Université privilégie un savoir objectivé, transmissible par le discours, évaluable selon des critères standardisés. Elle forme des spécialistes de la psychanalyse, capables de commenter Freud ou Lacan avec érudition.
L’École, elle, vise la transmission d’un savoir certes théorique mais également d’un savoir être, d’une posture, ce savoir n’existe que dans son rapport au sujet de l’inconscient. Il ne s’agit plus de former des experts, mais des analystes, c’est-à-dire des sujets ayant fait l’expérience de leur propre division et capable d’occuper la place de l’analyste dans le dispositif analytique.
Complémentarité nécessaire
Faut-il pour autant opposer ces deux logiques ? L’expérience nous montre plutôt leur complémentarité. L’École a besoin de la rigueur conceptuelle que développe l’Université, elle s’appuie sur cette rigueur, le socle théorique de la formation y puisse ses sources. L’Université, réciproquement, gagne à être irriguée par la vivacité clinique des École. Beaucoup d’analystes en formation enrichissent leur parcours de cursus universitaires, tandis que des universitaires viennent puiser dans les École la dimension subjective qui manque à leur formation.
Cette tension créatrice maintient la psychanalyse dans un questionnement permanent sur sa propre transmission. Elle préserve ce qui fait sa spécificité : être à la fois un corpus théorique rigoureux et une pratique qui engage le sujet dans son rapport à l’inconscient.
L’École et l’Université, chacune dans sa logique propre, participent à maintenir vivante une discipline qui ne peut se réduire ni à une technique ni à une théorie.
La formation psychanalytique demeure ainsi irréductible aux standards académiques classiques, non par défaut de rigueur, mais par excès d’exigence éthique envers ce qui fait la singularité du sujet.

